Un écrin pour une demande
Par Jeremy Benhayoun (alias JB4Wood)
Je veux montrer avec cette boîte que deux essences, deux textures, deux couleurs, deux finitions peuvent très bien se marier ensemble et former une unité cohérente en se réunissant… tout comme ma compagne et moi ! Cette boîte est constituée de deux parties coulissant l’un dans l’autre, chaque partie ayant ses particularités. La partie « Elle » reprend quelques traits de la personnalité de ma compagne : j’ai utilisé du frêne car c’est un bois plutôt discret, aux lignes douces, avec une finition vernie brillante. Pour le côté « Il », j’ai retenu du chêne et mon idée initiale était de faire une ébonisation (teinte en noir par réaction chimique), mais j’ai abandonné cette idée pour garder une meilleure harmonie entre les couleurs, notamment avec le cuir que j’ai sélectionné pour l’intérieur de la boîte. J’ai donc teinté ce côté au brou de noix, avec finition mate à l’huile de camélia.
Une boîte pour un bijou : conception
Arrivé à l'atelier, je me suis questionné sur la façon de faire cette boîte. Sur la conception et la réalisation de cette boîte, j’ai décidé de ranger les machines au profit des outils à main : ciseaux à bois, tranchet, cale à poncer, scies japonaises (ryoba, kataba et dozuki), mais aussi trusquin, marteau, équerre et fausse équerre, cutter… La visseuse est le seul outil électrique utilisé. N’étant pas parfaitement équipé, cela représente un défi supplémentaire : je vais devoir trouver des astuces pour obtenir ce que je veux, et ça me plaît !
J’ai commencé par faire un petit croquis à main levée afin d’avoir une idée globale de la réalisation finale ainsi que des cotes approximatives. Les dimensions étant très petites, je suis parti de faibles épaisseurs. Je n'ai pas voulu me fixer de limites : je savais que je modifierais les choses au fil de la réalisation, en fonction des idées qui me passeraient par la tête.
Réalisation
J'ai débuté par la partie en frêne. J'ai trouvé dans mon stock un morceau de frêne de 20 mm d’épaisseur que j'ai refendu en deux. J'ai commencé par tracer les lignes centrales au trusquin puis j'ai découpe à la scie japonaise ryoba, la seule dont la denture permet de déligner (couper dans le sens du fil). Une fois la pièce séparée en deux, je l'ai tronçonnée pour obtenir quatre morceaux qui me suffiraient pour constituer l’ensemble de cette partie.
Faute d’outils à main adéquats, je me suis fabriqué un petit support pour « corroyer » les pièces par ponçage. J'ai pu me permettre de procéder de cette manière car elles étaient petites. Je les ai bridées une à une sur mon support, grâce à un système de coins, et je les ai poncées en déplaçant le dispositif sur du papier abrasif au grain 60 collé à l’adhésif double face sur un contreplaqué bien plan (bouleau de 22 mm). Le geste pour cette opération est le même que pour corroyer avec un rabot : j’au utilisé le poids du corps de la même manière.
Une fois le corroyage effectué sur les deux faces de chacune des pièces, je les ai plaquées côte à côte pour vérifier que leur épaisseur était bien identique, et j'ai rectifié à quelques endroits.
Remarque : mon montage, s'il s'est avéré efficace, a quand même quelques défauts. Premièrement, j’ai utilisé une grande quantité de papier abrasif. Deuxièmement, on risque de poncer également les coins, qui servent de référence d’épaisseur. On pourrait trouver un bout de métal pour les remplacer mais cela rendrait plus compliqué la fixation de l’ensemble et ce serait également plus compliqué de régler l’épaisseur voulue. Ma solution a été de prendre mon temps, en vérifiant régulièrement l'épaisseur obtenue. J’ai également utilisé une cale de référence, que j'ai collée régulièrement sur chaque bord des pièces travaillées pour vérifier (au toucher) que les pièces sont toutes à la bonne épaisseur.
J'ai ensuite poncé un chant afin de le rendre parfaitement plan : ce chant devient une référence pour la suite. J'ai tracé la perpendiculaire à l’aide d’une équerre et d’un tranchet, bien plus précis qu’un crayon même bien taillé. J'ai poncé ensuite ce deuxième chant, la difficulté étant ici de poncer bien droit pour que les chants soient d’équerre. J’ai dû plusieurs fois adapter le sens dans lequel je ponçais car des micro-mouvements inclinent la pièce et provoquent la formation d'un arrondi sur le chant.
Remarque : mes pièces sont fines et j’envisage des coupes d’onglet par la suite, donc même si je n’arrive pas à poncer le chant bien d’équerre par rapport à mes faces, ce n’est pas très grave. Je n'ai pas besoin de réaliser une cale à 90° pour cette opération. On peut être très précis au ponçage, en prenant bien son temps.
Note : pendant toute cette phase de « corroyage », j’en ai profité pour collecter la poussière produite qui pourrait, au besoin, servir pour fabriquer une pâte à bois d’un ton forcément « raccord » avec le bois utilisé et permettre ainsi de masquer d’éventuels défauts.
Je suis alors passé à la mise à longueur. J'ai tracé très précisément les cotes avec mon tranchet. J'ai mis un léger coup de ciseau à bois juste à côté de ce trait afin de marquer le passage de la lame, qui va venir « tomber » dans ce creux dès le premier coup de scie. J’ai ainsi gagné en rapidité et en efficacité.
Après la découpe, j'ai légèrement rectifié par ponçage. Le résultat est vraiment très précis car sans machine, on peut ajuster les pièces au dixième de millimètre en finissant avec de légers ponçages.
Pour les coupes d’onglet, j'ai à nouveau procédé par ponçage. J'ai commencé par vérifier les débits, puis j'ai tracé à main levée tous les emplacements qui devront être travaillés : une erreur est vite arrivée !
Faute d’avoir une référence précise à 45°, je me suis fabriqué une cale de guidage, et j’ai scié deux pièces au plus près de 45°. Je les ai ensuite fixées ensemble, et en référence à une équerre à 90°, je les ai rectifiées par ponçage, en vérifiant que le travail soit bien exécuté sur toute la longueur.
Astuce : avant de commencer, j'ai appliqué de la cire d'abeille sur la surface d'appui de ma cale, afin d'optimiser la glisse lors des ponçages.
J'ai alors pu procéder à un montage à blanc de cette partie en frêne de ma boîte. C'est l'occasion de repérer les petits défauts provoqués par des micro-mouvements indésirables (contact qui se fait au milieu des pièces mais qui laisse des jours aux extrémités).
Le raccord en « vague » entre les deux parties de la boîte m’a posé quelques difficultés. Après traçage, le dégrossissage de la découpe des côtés a été effectué à la scie japonaise et la finiton par ponçage, à l’aide d’une baguette quart-de-rond recouverte d’abrasif (ça fait très bien l’affaire étant donné l’épaisseur de mes pièces).
Je suis ensuite passé à la réalisation de la partie en chêne de la boîte. J'ai procédé exactement de la même manière que pour la première partie en frêne. Seule différence : je n'ai pas refendu au début car je suis parti d'un morceau de 10 mm brut de sciage. J'ai aussi souhaité avoir une continuité du fil entre le dessus et l'extrémité de cette partie en chêne : j'ai fait la découpe entre ces deux éléments à la scie japonaise dozuki qui possède une lame très fine.
Par défi, j’ai modifié le système de coulissage des deux parties de la boîte par rapport à mon esquisse initiale : j’ai taillé et sculpté une feuillure dans la la partie en chêne afin qu'elle entre à l’intérieur de la partie en frêne et qu’une fois emboîtées, les deux parties soient à fleur l’une de l’autre. Ceci m’a obligé à modifier quelques cotes. Il faut notamment que mes pièces de chêne soient plus épaisses que celles en frêne : j'ai ajouté une épaisseur sur mon support de corroyage.
Astuce : il est possible de réaliser des coupes en plein panneau à la scie japonaise dozuki à l’aide par exemple de la denture type « Super hard » proposée par Dictum (d’autres marques la proposent aussi certainement). Il suffit d’utiliser le bout arrondis de la lame afin de commencer la coupe. Une fois la lame traversée, c’est un jeu d’enfant. Notez tout de même que je ne conseille pas ce genre de coupe sur de grosses épaisseurs, car le travail peut être long !
J’ai par la suite découpé au cutter le cuir qui vient recouvrir l’intérieur de la boîte : il n’est pas très épais. J'ai redressé le poil en frottant le côté intérieur du cuir puis j'ai plaqué mes pièces en bois dessus, ce qui permet de bien visualiser la zone à découper. J’ai alors collé les morceaux à la cyanoacrylate puis j’ai poncé les coupes d’onglet pour araser les parties en saillie.
Remarque : j'ai eu l'idée de conserver les miettes de cuir issues de la découpe pour tenter une incrustation, mais je ne suis pas parvenu à un résultat concluant.
Le « liseré » en bouleau, entre les deux parties de la boîte, est certainement l'étape la plus délicate du projet. Je n’avais à ma disposition que des morceaux comportant de nombreuses « piqures » d’insectes, j'ai retenu ceux qui en presntaient le moins. Pour le façonnage du liseré, j’ai obtenu un gabarit de la forme voulue des pièces qui le compose en frottant une mine de crayon sur une feuille de papier placée tour à tour sur les deux côtés de la boîte légèrement entrouverte. J’ai ensuite dégrossi cette forme à la scie japonaise et le ai affinées par ponçage. C’est un jeu de patience, mais le résultat obtenu est très satisfaisant, surtout pour des pièces de cette taille où le moindre écart se voit tout de suite. J’ai comblé les petites irrégularités à la pâte à bois préparée avec la sciure récoltée précédemment (j'ai employé de la colle Titebond III, mais elle a la particularité de foncer au séchage, ce qui ne gêne pas puisque j'ai par la suite procédé à une mise en teinte).
En guise de butées d’ouverture, j'ai fabriqué deux espèces de clous à partir d’un rond de porte-clés, par matage à froid au marteau (en douceur !). L’idée a été de redresser le fil d’acier, de le serrer dans mon étau et de le mater en frappant l’extrémité avec un marteau. C’est assez long puisque le clou glisse sas cesse : il faut desserrer l'étau, remonter le clou puis resserrer avant de mettre à nouveau quelques coups de marteaux. Pour obtenir un beau rendu final, j'ai dirigé mon marteau de manière à arrondir la tête à chaque frappe, mon but étant malgré tout de ne pas lisser la tête afin de laisser des « facettes » de frappe apparentes pour conserver le côté artisanal et « fait main » que j’aime beaucoup. Attention toutefois à ne pas trop en demander à la matière : le matage à froid peut déchirer le métal (qui n’est pas forcément prévu pour ça !). Une fois la tête assez grosse et de forme voulue, je l'ai coupée à la longueur voulue puis j'ai réalisé la pointe en faisant quelques passes sur une bande abrasive.
J'ai ensuite récupéré la boîte avec les collages secs. Je l'ai entièrement repassée au ponçage pour gommer tous les défauts d’affleurement, mais avec douceur car je n'ai que très peu de marge au niveau des coupes d’onglet. J'ai bouché quelques défauts à la pâte à bois « maison » avant d’effectuer un ponçage final au grain 150. J’ai pris soin de toujours poncer dans le sens du fil du bois.
Finitions
Pour la finition, j’ai appliqué du vernis brillant sur la partie en frêne, deux couches avec un égrainage fin entre les deux, puis j'ai effectué un égrainage final au grain 400 qui rend de la douceur à la matière. Pour la partie chêne, mon idée initiale était de faire une ébonisation mais je l'ai abandonnée pour garder une meilleure harmonie entre les couleurs, notamment avec le cuir que j’ai sélectionné pour l’intérieur. J’ai donc d'abord teinté au brou de noix. L’application s’est faite au pinceau en faisant très attention à éviter le liseré en bouleau. J’ai fait une première dilution aux alentours des 75 % et j’ai trouvé que c’était trop clair. J’ai fait un nouveau mélange en diluant cette fois à environ 30 % mais je n’ai appliqué cette teinte que sur la partie extérieure de la boîte, laissant une nuance supplémentaire appréciable entre les deux parties. J’ai décidé ensuite d’appliquer de l’huile de camélia pour la finition définitive car je souhaitais conserver un aspect mat sur cette partie en chêne et l’huile répond parfaitement bien à ce critère. L’huile de camélia donne aussi de très jolis reflets au bouleau. Un seul petit regret : cela a fait ressortir quelques « piqures » d'insectes.
À l’intérieur de la boîte, deux rouleaux de cuir maintiennent la bague en position verticale. Ce procédé est très simple et permet le réglage de la fermeté d’accueil de la bague. Trop serré : la bague ne rentre plus ; pas assez serré, la bague risque de tomber.
Enfin, pour personnaliser la boîte davantage, mon idée initiale était de texturer toute la partie en chêne. J’ai fait plusieurs essais de motifs et de sculpture, mais rien ne correspondait vraiment à ma vision du projet. Je trouve aussi qu’avec les nœuds visibles dans la matière, il y avait déjà pas mal « d’infos » et je n’avais pas envie de surcharger cette partie. J’ai donc décidé de rester très sobre en réalisant un petit motif discret sur un coin de la partie en chêne. Pour ce faire, j’ai utilisé une petite gouge (achetée spécialement pour l’occasion au salon du bois d'Épinal : je ne savais pas encore comment j’allais m’en servir, mais je n’avais de toute façon pas grand-chose à ma disposition pour texturer !). Je trouve le résultat satisfaisant : la texture ne prend pas le dessus sur le projet global et, en s’approchant, on la remarque comme un joli détail supplémentaire.
Un système de petits aimants, collés dans des emplacements percés, maintient la boîte fermée. La colle utilisée ici est très importante car les aimants doivent résister à l'attraction de leur opposé et aux déformations du bois, qui va travailler en fonction de l'environnement extérieur. J’ai sélectionné pour ce projet les aimants les plus petits que j’ai trouvés : ils font 3 mm de diamètre et 2 mm de long, mais ce n'est pas suffisant pour un bon maintien. J’ai prévu le coup en perçant plus profond pour insérer deux aimants dans chaque logement, un derrière l’autre, afin d'augmenter la force d’attraction. Avant d’insérer l’aimant du second côté, attention à bien vérifier son sens, sinon les aimants vont se repousser et la boîte ne pourra jamais se refermer !
J'ai enfin appliqué un peu de cire d'abeille sur les parois en contact, pour faciliter le coulissement des deux parties. J’ai utilisé pour cela un embout en feutrine sur visseuse, que j'ai frotté sur un pain de cire d’abeilles (acheté chez un apiculteur local). C’est redoutablement efficace : la glisse est bien meilleure et plus agréable.
La boîte est désormais terminée ! Le projet est vraiment conforme à mes attentes, la boîte est fonctionnelle, jolie et originale. Le fait d’avoir utilisé uniquement des outils à main m’a permis de m’approprier le projet d’une manière toute particulière. J’ai pu travailler sans bruit, sans vibrations, en contact très rapproché avec la matière… C’est une expérience vraiment satisfaisante.
Je n’ai pas cessé de regarder la bague tout au long de la réalisation : ça m’a motivé jusqu’au bout du projet. Je me suis imaginé ma compagne lorsqu’elle la découvrira en ouvrant cette boîte. Il ne me reste maintenant plus qu’à lui offrir, j’espère que toute cette belle énergie lui sera transmise (et qu’elle dira oui !).
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